le blog de l'accrocheur dezopilant, son actualité puis tout ce qui va avec: votre plaisir.
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Voilà, c'est ici que je consigne les En-passant de lecture du Vinch' de
L'Ougarit. Un ciseau engagé et performatif. Une taille brute dans les monolithes de nos abrutissements.
Le 5 août 2010
/Je suis dans la clarté qui s'avance.
Mes mains sont toutes pleines de désirs, Le monde est beau.
Mes yeux ne se lassent pas de voir les arbres, les arbres si pleins d'espoir, les arbres si verts.
Un sentier s'en va à travers les mûriers.
Je suis à la fenêtre de l'infirmerie
Je ne sens pas l'odeur des médicaments.
Les oeillets ont dû fleurir quelque part.
Et voilà, mon amour, et voilà,
être captif, là n'est pas la question,
la question est de ne pas se rendre
/
Nazim Hikmet, (1948, écrit en prison, in poésie Gallimard)
21 mars 2008
Dans une lettre à Germaine Tillion écrit par Geneviève de Gaulle-Anthonioz, voilà ce que cette dernière écrit : "Quand je t'ai vue
pour la première fois, chère Germaine [
], tu te tenais devant la fenêtre de notre baraque, à Ravensbrück, ce qui était d'ailleurs sévèrement interdit. [
]. Je t'ai regardée : ton
visage ferme et serein était déjà un réconfort, alors que nous avions été saisies d'effroi par l'aspect inhumain de tant de nos malheureuses camarades. Ce que tu nous as alors
communiqué, avec le ton mesuré qui a toujours été le tien, n'était rien de moins que ta connaissance du système concentrationnaire. Exactement ce qu'il nous fallait pour ne pas
être détruites par son apparente absurdité : le cycle du génocide, l'extermination par le travail, la raison d'être des « transports noirs » (l'un d'eux avait quitté le camp au
moment de notre arrivée), les prix de revient des prisonniers, les bénéfices personnels de Himmler. En t'écoutant, nous n'étions plus des /stücks/, mais des personnes ; nous
pouvions lutter, puisque nous pouvions comprendre."
> in. Genevière de Gaulle-Anthonioz, préface à /La traversée du Mal/, Germaine Tillion, Entretien avec Jean Lacouture, éd. Arléa, fév. 2002.
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février 2009
Hannah Arendt, Condition de l'homme modernejanvier 2009
Je suis mort parce que je n’ai pas le désir, Je n’ai pas le désir parce que je crois posséder, Je crois posséder parce que je n’essaye pas de donner ; Essayant de donner, on voit qu’on /n’a/ rien, Voyant qu’on n’a rien, on essaye de se donner, Essayant de se donner, on voit qu’on /n’est/ rien, Voyant qu’on est rien, on désire devenir, Désirant devenir, on vit.
René Daumal
Mai 1943.
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décembre 2008
« LE BUT DU THéÂTRE : provoquer des accidents.
Le théâtre devrait se fonder sur ce que l’on a jusqu’alors appelé des « erreurs » : des accidents éphémères. En acceptant son caractère éphémère, le théâtre découvrira ce qui le distingue des autres arts, et par là même, s’ouvrira à sa propre essence. Les autres arts laissent des pages écrites, des enregistrements, des toiles, des volumes : des traces objectives que le temps n’efface que très lentement. Le théâtre, lui, ne devrait pas même durer une seule journée de la vie d’un homme. A peine né, il devrait être aussitôt mort. Les seules traces qu’il laissera seront gravées à l’intérieur des êtres humains et se manifesteront par des échanges psychologiques. Si le but des autres arts est de créer des œuvres le but du théâtre est de directement changer les hommes : si le théâtre n’est pas une science de la vie, il ne saurait être un art. »
« MELODRAME SACRAMENTEL : un éphémère panique présenté le 24 mai 1965 ... »
Alexandro Jodorowsky, Le théâtre de la guérison.
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décembre 2008
Samedi soir rencontre autour d'un couscous préparé par des femmes du Réseau Education Sans Frontière (RESF). Ce réseau se
réuni autour de familles présentant le défaut (aujourd'hui impardonnable) d'être sans- papier. Ces familles, souvent représentées par les femmes, les épouses, les mères, rompent ainsi un
isolement fatal et ensemble, avec le soutien et l'aide de militants des droits de l'homme et de la femme, essaient de lutter contre le rouleau compresseur mis en place par le Ministère de
l'Intérieur dans une dérive sécuritaire et xénophobe implacable. Plusieurs de ces familles ont vu ainsi, grâce à leur ténacité, à l'action du collectif RESF, et la pugnacité de quelques avocats,
leur situation régularisée évitant de la même façon le pire : le séjour au centre de rétention et l'expulsion vers un ailleurs menaçant que ces familles en habitant en France cherchent à toute
force éviter. S'il est évident que les militants sont une aide et un véritable soutien à ces familles en danger et le plus souvent devant faire face à des situations économiques précaires,
s'arrêter à cette dimension de la relation serait gravement s'égarer sur le sens politique de ces rencontres entre «sans-papier » et « sans problème » ! La vérité c'est que c'est « nous » qui
sommes redevables à ces familles. C'est parce qu'à un moment, Saïda, Rezo et Amina, Jacques ou Nadia et tous les autres refusent de baisser la tête et prennent le risque de rejoindre un collectif
pour établir leurs droits et revendiquer leur dignité que la possibilité pour d'autres de se regrouper pour agir, parler et penser s'actualise dans un combat, un lutte de résistance, un moment de
vie. Ces personnes qui tremblent pour leurs enfants et l'existence quotidienne et qui, seules, sont fragiles et désemparées, constituent à plusieurs le levain d'une action politique émergente et
durable : Ces familles en nous mobilisant, nous rendent vivants. « Nous », ce sont tous ceux qui par ailleurs se sentiraient dépossédés d'un pouvoir agir, qui devant la brutalité et l'arbitraire
d'un pouvoir s'abritant derrière des lois iniques et des procédures administratives disciplinaires, seraient saisis ou tentés par un sentiment de découragement et d'impuissance « nous »
condamnant à l'immobilisme, « nous » acculant à la lâcheté. Avec ces familles et tous les « sans »-quelque chose de la société « nous » retrouvons enfin une puissance d'agir. Puissance dont Hannah Arendt dit qu' « [elle]
n'est actualisée que lorsque la parole
et l'acte ne divorcent pas, lorsque les mots ne sont pas vides, ni les actes brutaux, lorsque les mots ne servent pas à voiler des intentions mais à révéler des réalités, lorsque les
actes ne servent pas à violer et détruire mais à établir des relations et créer des réalités nouvelles. » (Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Pocket, col. Agora, p. 260-261.) Ce samedi soir dans la
salle de la Galaxie au coeur du quartier populaire de Parilly, c'est bien de cette réalité nouvelle dont nous participions,
toutes et tous. Pour cela, je voudrais remercier chacune et chacun de ces femmes et hommes qui nous procurent quelques fois l'occasion de mettre en accord nos paroles et nos actes dans ce
combat commun pour une société plus juste et plus fraternelle.
Vincent Massart-Laluc
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décembre 2008
Le poète produit le beau par l’attention fixée sur du réel. De même l’acte d’amour. Savoir que cet homme, qui a faim et soif, existe vraiment autant que moi – cela me suffit, le reste suit de lui-même.
Les valeurs authentiques et pures de vrai, de beau et de bien dans l’activité d’un être humain se produisent par un seul et même acte, une certaine application à l’objet de la plénitude de l’attention.
L’enseignement ne devrait avoir pour fin que de préparer la possibilité d’un tel acte par l’exercice de l’attention.
Tout les autres avantages de l’instruction sont sans intérêt.
*Weil Simone, */*La pesanteur et la Grâce*/*, éd. Plon, 1948*
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novembre 2008
"La société humaine a
créé le langage pour nous permettre de communiquer nos pensées, nos sentiments et nos intentions les uns aux autres." A son avis, qu’il se garde bien d’exprimer en public, la parole trouve son
origine dans le chant, et le chant est né du besoin de remplir de sons l’âme humaine, trop vaste et plutôt vide."
*Coetzee J.M., /Disgrâce,/ Seuil, 2002*
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"La puissance n'est actualisée que lorsque la parole et l'acte ne divorcent pas, lorsque les mots ne sont pas vides, ni les actes
brutaux, lorsque les mots ne servent pas à voiler des intentions mais à révéler des réalités, lorsque les actes ne servent pas à violer et détruire mais à établir des relations et créer des
réalités nouvelles.
C'est la puissance qui assure l'existence du domaine public, de l'espace potentiel d'apparence entre les hommes agissant et parlant."
Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Pocket, col. Agora, p. 260
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le 04 juillet 2008
Combien de pages fait ton histoire ?
- Vingt-sept.
- En écrivant vingt-sept pages de la vie d'une pute, tu n'as pas utilisé une seule fois les mots /con, bite, baiser, /etc. C'est comme si tu écrivais vingt-sept pages de la vie d'un paysan sans
employer des mots comme /labourer, joug, boue, terre. /Ce qui revient à dire qu'en éludant ces mots, tu deviens une sorte de menteur. Et tu es aussi timoré qu'un auteur, /fèrendj - /qu'un auteur
étranger. Pas seulement timoré, mais aussi hypocrite. Tu devrais pouvoir éviter ça.
- Continue, continue."
Il s'est fendu d'un sourire avant d'ajouter : "Qu'est-ce qu'il y a à continuer ? Tu peux devenir un grand écrivain, mais n'oublie pas de combiner rire et larmes. Essaie de marier vérité et
mensonge. N'aie pas peur des mots. Sinon tout ce que tu écriras sera loin de la réalité, autrement dit du mensonge.
Sebhat Guébré-Egsiabhér, /Les Nuits d'Addis-Abeba, /
Actes Sud, mai 2004, p.212-215.
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le 24/06/2008
Nam-won, fin d'après-midi
C'était une femme trapue, sans âge. Lorsque je l'ai vue arriver du bout de la place, je n'en ai pas cru mes yeux : elle portait sur le dos une machine à coudre à pédalier gigantesque, retenue par
un bandeau frontal. La force physique des Coréens, comme celle des Turcs, est proverbiale : tout de même, avec le socle, au moins quatre-vingts kilos... et vouloir monter dans le bus avec un
objet aussi volumineux ! C'était une de ces augustes mécaniques de style, disons, ptolémaïque, qui vous font vivre toute une famille et valent leur pesant d'or. Ce n'était pas demain la veille
qu'on aurait pu séparer ces deux-là. Coudoyant, suppliant, menaçant, poussant de la tête et des hanches, sanglotant, elle a tout de même amené son colis jusqu'à la banquette du fond où nous nous
sommes serrés pour lui faire place. Elle s'est assise en soupirant "Aï !chuketta !" (Ouf ! je crève) puis, son coup réussi, s'est mise à sourire...
Nicolas Bouvier, Journal d'Aran et d'autres lieux, Payot, p. 132
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Le 12.06.08
"Chambre absolument nue. Deux minces paillasses posées côte à côte sur un linoléum chocolat, deux oreillers de noyaux de cerises. Auberge de petites putes: au
chevet des paillasses, le mur est constellé de chewing-gums collés n'importe où par les filles, lorsqu'un client a eu besoin de leur bouche. Ne pas traîner ici plus qu'il n'est
nécessaire."
Nicolas Bouvier, Journal d'Aran et d'autres lieux, Payot, p.114.