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Le Maréchal vous invite à lire Henri Vincenot, Le Pape des escargots, Folio.
Proust en Bourgogne
C’était au temps où l’A6 n’avait pas encore balafré les collines de l’Auxois, où les timides collégiales rosissaient aux ardeurs de Phébus couchant. C’était au temps où les hommes savaient qu’ils respiraient les vapeurs druidiques d’une terre immémoriale. C’était au temps des exaltés aux imaginations fantastiques.
Vincenot daté ? La Vie du Rail ne fait plus recette à l’époque des TGV. Par ci, par là, quelques vestiges rouillés de voies étroites étalant une sinueuse lenteur au cœur de la resplendissante Bourgogne, dont les beautés parcourues par de nonchalants tortillards allumaient les prunelles assoupies de voyageurs tranquilles.
Le Pape des escargots, c’était avant.
La Gazette, vieux bouc puant et philosophe, entraine Gilbert, le génie hirsute, dans une Odyssée bourguignonne. L’un sculpte les âmes, véhément et péremptoire, tandis que l’autre, dans une spontanéité divine, enfante la beauté de vieilles pièces d’un bois patiné par les rigueurs de l’hiver bourguignon. Marie, l’Enfant Jésus, les saints, accompagnent Gilbert dans une fantasia baroque au cœur de la masure empoussiérée du Michel Ange bourguignon.
C’est à la grâce du monde qu’ils parcourent les vallons, les futaies, qu’ils remontent le cours changeant du Serein. L’un enseigne les vieilles sagesses. L’autre écoute mi- goguenard, mi- fasciné. Alésia n’est pas loin et Sequana veille. C’est hors du monde qu’ils parcourent les terres rouges du pays polies par un septembre accablant : « Le soleil était bas, pourpre comme une grume ». On rencontrerait Giono au détour d’un chemin…Chaque instant est sublime et ses volutes éphémères envoutent l’âme patiente de ceux qui le saisissent. Parfois Combray n’est pas loin.
Adoubé aux eaux d’une fontaine retrouvée – et soit disant miraculeuse selon la Gazette – Gilbert jette sa gourme de paysan mal dégrossi. Levant le voile d’une chapelle endormie, il en ressuscite les beautés outragées : le voilà maintenant serviteur de la cause céleste.
Mais las ! Convaincu d’être un artiste par un escarpe poudré et jargonnant, il est attiré par les sirènes parisiennes au grand dam de la Gazette. Dans un galetas infâme, Gilbert déchante car la lumière l’a quitté : « par le vitrage qui éclairait le local, il voyait un mur droit, de plâtre pourri, et une alignée de fenêtres qui montait, montait. Il avait essayé de voir le ciel et il n’y était parvenu qu’en se penchant à mi-corps par la tabatière et en relevant la tête jusqu’à s’en dénuquer. »
Il s’y perd : il trouve la femme moderne, libérée qui l’initie aux mystères utérins. Pourtant le vieux l’avait mis en garde ! La femme c’est le diable !
« Tu les entends ? Ecoute les chèvres lubriques ! Elles voudraient bien t’arracher à ton éternité ! C’est la mission que leur a confiée : racoler, racoler. Faire de toi le bouc, l’étalon qui alimentera la horde où Satan recrute sans merci ! »
Le vieux le savait, mais les « peigne-culs » n’auront pas son Gilbert. Ni le charabia ampoulé et abscons des élites artistiques de la capitale –« les virtuels », « impacts », « structuration » et autres « musique de l’informel » -, ni les délices empoisonnées de quelque courtisane germanopratine n’auront raison de lui. Utilisant la verve brute et sans concession de ses personnages, l’imposture et la mystification sont démasqués pour être finalement cloués au pilori par Vincenot. Pour bien parler de son temps, il faut le passer à la moulinette.
« C’était le délire verbal devant le délire des volumes pervertis à des formes adultérées. Il en arrivait à se demander pourquoi l’on déshabillait des hommes et des femmes, leur faisant monter leur cul à tout le monde, pour en arriver à enfanter ces horreurs incompréhensibles devant lesquelles garçons et filles, surtout les filles, feignaient de suffoquer de plaisir et s’efforçaient de tomber en transe. »
L’éros de la création est perverti par les incubes et succubes de la démonstration.
De retour en sa masure, Gilbert sculpte et sculpte encore, enivrant son esprit et tout son corps. Dans sa spontanéité de faune, Gilbert nous rappelle que l’on ne crée pas avec sa langue, mais avec chaque tendon, chaque muscle, chaque nerf, tous unis en une sarabande mystique, alors que le visage brulant et emperlé de sueur du créateur se moire d’or au soleil couchant.
Certes, Vincenot n’est pas Proust, mais pourquoi honnir le « régionalisme » en littérature ? La Normandie n’est –elle pas le point de confluence sensible chez Proust ? Dans sa prose matoise, le Bourguignon ne fait-il pas le même métier que Parisien ? Traquer sans cesse l’éphémère, mettre en abyme ce qui nous échappe tel Patinir (peintre du début du 16e siècle), magnifiant ces détails qui narguent de prime abord le voyeur, mais révèlent avec un peu d’effort une profondeur quasi cosmogonique.
Citons Genevoix – encore un « régionaliste » - qui, après l’épreuve des tranchées, tentant de solder un trop plein de souffrance en évoquant ses camarades disparus, n’accabla pas le lecteur d’un docte discours moralisateur, mais s’arrêta sur ces petits détails qui font notre existence :
Vous n’êtes guère plus d’une centaine, et votre foule m’apparait effrayante, trop lourde, trop serrée pour moi seul. Combien de vos gestes passés aurais-je perdus, chaque demain, et de vos paroles vivantes, et de tout ce qui était vous ? Il ne me reste plus que moi, et l’image de vous que vous m’avez donnée.
Presque rien : trois sourires sur une toute petite photo, un vivant entre deux morts, la main posée sur leur épaule. Ils clignent des yeux, tous les trois, à cause du soleil printanier. Mais du soleil, sur la petite photo grise, que reste-t-il ?
Recherchons chaque jour le soleil et le printemps, c’est une louable cause.
Henri Vincenot, Le Pape des escargots, Folio