doum doum chronique
vous savez de quelle nature il pense? De la nature doumdoum, du fragment au fractal, ses injonctions de lecture vale de l'or. Voilà la 5ème, servie d'oignons que j'aime: à lire Simon Leys, Le Studio de L'inutilité, Flammarion 2012. Et maintenant, allons y et feu à volonté.
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Fût-il utile
Sans jouer le vieux raseur, en ces temps d’allégresse artistique, l’utile rassure tandis que l’inutile effraie.
La littérature contemporaine, prenons la française, additionne des nombrils calibrés qui se contemplent, se rassurent, et surtout, font vendre et se vendent. L’utile, c’est ce qui doit arriver, c’est ce que l’on attend au détour d’un roman, ou de l’énième monstruosité d’un plasticien qui n’aurait pas dû se dérober à sa psychanalyse, et qui aurait mieux fait de laisser tomber son seau d’excréments pour se consacrer utilement à la lecture de Lewis Carroll.
Dans le Studio de l’inutilité, Simon Leys, grand lecteur et sinologue à ses heures – là je suis injuste car c’est un grand sinologue – précise que l’inutile dans la littérature classique chinoise c’est l’inopportun.
Citant un passage du classique des mutations, texte le plus ancien, le plus sacré – et le plus obscur – de tous les classiques chinois, Leys nous éclaire sur cette inutilité : « le dragon du printemps est inutile » ; il faut entendre par là que dans leur jeunesse et durant la période d’apprentissage, les talents des hommes vraiment supérieurs doivent rester cachés. Avis donc à tous nos dragons printaniers : l’imposture est-elle un défaut de jeunesse ?
Quel est diable le rapport entre la belgitude de Michaud, l’intimité d’Orwell, le génie méconnu de Chesterton (Son Nommé jeudi serait un DES romans du XXe siècle), le pilon idéologique du post maoïsme, une réflexion sur son avatar cambodgien expert en génocide express, la circumnavigation de Magellan (qui entre nous ne l’a pas achevée…), le roman le moins maritime de Conrad (L’Agent secret) et j’en passe ? C’est Simon Leys.
Monsieur Leys n’en pas à son coup d’essai en matière de Bric-à-Brac de génie. Déjà il avait sévi brillamment dans Le bonheur des petits poissons ou dans Les idées des autres autant de florilèges et compilations à destinations des lecteurs oisifs – inutiles - que nous sommes.
« La plupart des gens sont d’autres gens » disait Oscar Wilde. Nous n’avons aucune opinion sinon celle des autres. On voit venir l’injonction très con-temporaine : « débarrassons-nous de toute culture pour nous réaliser ! » Construisons notre propre âme…sur du vent.
Les cuistres n’ont rien compris. Comme les grands artistes, Leys ne nous donne pas la Vérité, mais la nôtre. Débarrassons-nous du culturel pour retrouver l’art.
Ecoutons donc ce divin lecteur qui nous enjoint de lire contre nous-mêmes, c'est-à-dire contre notre propre facilité. Il n’y a rien de plus désespérant et de trivial que soi-même.
Lisons Michaud contre lui-même et faisons l’éloge de la maladresse : celle du grand écrivain terrorisé et bloqué par ses humeurs provinciales : voulant réécrire une œuvre trop localisée, et par un rapetissasse compulsif, Michaud voulait renier sa propre belgitude. La belgitude : garantie contre le crétinisme littéraire ?
Le Prince de Ligne : « je n’ai aucun goût pour les trônes ni pour les dominations » écrit-il à Jean-Jacques. Depuis 1789, toute noblesse est suspecte, pourtant ne peut-on qu’admirer un homme qui a dit des Mémoires de Casanova : « Un tiers m’a fait rire, un tiers m’a fait bander, un tiers m’a fait réfléchir » ? Et de mourir dignement, et vieux, dans un absolu dénuement. Avis aux critiques patentés - qui en passant sont capables d’attribuer aux autres leurs pensées boiteuses - : « voilà un magnifique exercice de concision ».
Et Orwell ? Intime, ce géant n’était qu’un homme aux mœurs simples. Jamais de mauvaise graisse. Privé d’afféteries et de cuistreries mondaines, l’homme est bon. Peut-on croire que le pourfendeur du totalitarisme se réjouissait à l’avance d’une bonne partie de pêche ? L’esprit débarrassé de la glaise idéologique, le génie peut s’envoler.
Monsieur Leys ne laisse pas de nous surprendre : les grands auteurs ne s’apprécient que par les recoins. Pour finir, citons cette petite merveille de Chesterton qu’il nous offre généreusement :
Soir
Voici que s’achève le jour
Durant lequel j’ai eu des yeux, des oreilles, des mains
Et tout le vaste monde autour de moi.
Et demain commencera un autre jour.
Mais qu’ai-je donc fait pour en mériter un second ?
Lisons Leys, et nous mériterons ce second jour.
Simon Leys, Le Studio de L'inutilité, Flammarion 2012